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Contrastes

Véhicules autonomes : intervention de Didier Casas, Président FFTélécoms

Didier Casas, Président de la Fédération Française des Télécoms, est intervenu le 14 mai 2018 à l’occasion de la présentation publique du rapport « Développement des véhicules autonomes : orientations stratégiques pour l’action publique ».


[INTERVIEW] Retour sur les grands enjeux à venir, l’apport de la 5G, le positionnement des opérateurs télécoms par rapport à la filière des véhicules autonomes, quelles sont les attentes ?

Tous les nouveaux véhicules commercialisés depuis le 1er mai 2018 doivent être connectés via le dispositif « eCall ». S’agit-il d’une première étape vers le véhicule autonome ?

Didier Casas : ce système permet d’envoyer automatiquement un message d’urgence en cas d’accident, par exemple quand les airbags se déclenchent. Des informations sur le véhicule (type, carburant…), ainsi que sa localisation sont alors transmises aux services de secours. « eCall » peut également être déclenché manuellement, en cas de panne ou de problème moins grave1.

Même si l’émission des messages est automatique, ce qui est un vrai plus en matière de sécurité, on est encore loin d’un véhicule autonome, mais c’est une première brique intéressante. C’est surtout un projet collaboratif, qui a été mené au niveau européen en associant plusieurs acteurs (constructeurs, pouvoirs publics, opérateurs, assureurs…).

Concrètement, qu’apporte la connexion des véhicules ?

Didier Casas : aujourd’hui, les véhicules sont largement connectés… et d’abord parce que l’usage des smartphones s’est répandu à bord, comme en témoigne le succès de l’application « Waze ». Cela me permet, au passage, de rappeler les conseils de prudence : pas d’appels ou d’activité susceptible de distraire le conducteur au volant !

Les véhicules récents disposent également de systèmes embarqués largement connectés, tant pour les loisirs numériques que pour l’information du conducteur ou la cartographie. Ils sont de plus en plus présents, au point qu’on a pu comparer les voitures modernes à des « smartphones roulants », qui se mettent à jour régulièrement en apportant de nouvelles fonctionnalités.

On voit également apparaître de nouveaux services, liés à l’utilisation des données produites par le véhicule lui-même (localisation, vitesse, utilisation du moteur…), à l’initiative des constructeurs (maintenance prédictive, gestion de flotte…), des gestionnaires d’infrastructure ou des assureurs (personnalisation des contrats en fonction du type de conduite).

Quels sont les enjeux en termes de cyber-sécurité ?

Didier Casas : le premier enjeu tient à la sécurisation des données émises par le véhicule, puisque certaines d’entre elles relèvent de la catégorie des données personnelles. Le cadre réglementaire actuel, issu du RGPD, leur est pleinement applicable, ce qui constitue une excellente garantie compte tenu du fait que :

  • les conducteurs devront consentir, de manière éclairée, au traitement de leurs données, ce qui est un élément essentiel du développement de la confiance dans ces écosystèmes ;
  • les entreprises impliquées devront renforcer la sécurisation de leurs systèmes informatiques pour prévenir toute fuite de données.

Le deuxième enjeu tient à la prévention du piratage des véhicules2, avec les conséquences dramatiques qu’on peut facilement imaginer. Le cadre reste à construire même si les opérateurs télécoms sont déjà tenus à de nombreuses obligations de sécurité, compte tenu de leur statut d’opérateur d’importance vitale. La loi de programmation militaire3 viendra d’ailleurs renforcer la prévention des cyber-attaques.

Dans l’attente, nous sommes favorables aux conclusions d’un rapport parlementaire récent, qui prévoit de s’opposer à l’homologation d’un véhicule dépourvu de volant et de pédales tant que leur cyber-sécurité ne sera pas pleinement assurée.

Comment le véhicule se connecte-t-il aux autres véhicules et à son environnement ?

Didier Casas : le véhicule peut d’abord se connecter aux réseaux cellulaires classiques, c’est-à-dire en 2G, 3G ou 4G. Mais on a également développé des technologies spécifiques qui lui permettent de se connecter à d’autres véhicules (on parle alors de « Vehicle to Vehicle », V2V), aux infrastructures (V2I), voire aux piétons (V2P). Deux technologies, dites globalement « V2x », sont actuellement testées :

  • ITS G5, qui utilise des fréquences libres de droit (non protégées) dans la bande des 5,8 GHz et fonctionne un peu comme du Wi-Fi (faible portée, qui nécessite donc de multiplier les émetteurs pour connecter un véhicule en circulation) ;
  • Cellular V2x (ou, aujourd’hui, LTE V2x), qui utilise la même bande de fréquence mais dans le cadre de licences. Il est d’ores et déjà prévu que cette technologie évolue pour utiliser la 5G, dont le déploiement est attendu à partir de 2020.

Il est trop tôt pour savoir comment ces technologies s’articuleront. Mais il faut d’ores et déjà comprendre qu’elles seront complémentaires. Le V2x actuel, par exemple, ne fonctionne qu’à proximité immédiate des infrastructures et un relai par des technologies cellulaires classiques sera nécessaire en dehors des voies principales.

Par ailleurs, si les deux technologies V2x ont des performances intrinsèquement comparables (même si elles ne sont pas interopérables…), le Cellular V2x pourra bénéficier des déploiements des opérateurs, avec lequel il est compatible.

Que va apporter la 5G aux véhicules autonomes ?

Didier Casas : les performances de la 4G sont déjà très largement suffisantes, cette technologie permet déjà, par exemple, de télécharger des cartes de plusieurs Go en quelques minutes. Grâce à l’accord historique que les opérateurs viennent de signer avec les pouvoirs publics sur l’accélération du déploiement, les zones couvertes en 4G vont largement s’étendre.

Mais il est vrai que la 5G, qui proposera des performances très supérieures en termes de débits et de latence, va apporter de nouvelles fonctionnalités qui permettront de franchir de nouveaux paliers vers le véhicule véritablement autonome.

Concrètement, la 5G permettra par exemple :

  • de télécharger des cartes à haute densité et de les mettre à jour en temps réel (état du trafic, de la chaussée). Des cartes 3D seront également disponibles, ce qui va permettre aux conducteurs de bénéficier de la réalité augmentée dans certaines situations… avant que les algorithmes ne prennent définitivement le volant ;
  • d’améliorer la connexion de véhicule à véhicule. Grâce à la faible latence de la 5G, une voiture pourra bénéficier des capteurs des véhicules situés devant lui pour anticiper un ralentissement ou, littéralement, « voir » au-delà d’un virage4 ;
  • de permettre le développement de ce que les spécialistes appellent les « manœuvres collaboratives». En communiquant entre elles et avec les infrastructures, les véhicules pourront adapter automatiquement leurs itinéraires pour fluidifier et sécuriser la circulation, surtout en ville.

Les opérateurs télécoms travaillent-ils déjà sur le véhicule autonome ?

Didier Casas : nous sommes très attentifs au développement du véhicule autonome, tant sur le plan technologique qu’économique. Des membres de la Fédération contribuent déjà à des projets innovants, comme :

  • le projet « Scoop» qui, à l’initiative de Renault et PSA, a permis d’équiper près de 3 000 véhicules de la technologie ITS G5 afin d’améliorer l’information des conducteurs (V2V et V2I) et de mieux comprendre leurs attentes en matière de conduite autonome5 ;
  • le développement par l’UTAC-CERAM, à proximité de Paris, du premier centre de test de véhicules autonomes dans un milieu urbain simulé, qui bénéficiera rapidement des meilleures technologies de communication6.

Encore une fois, ce sont des projets collaboratifs, car c’est la clef pour avancer dans un domaine où de multiples acteurs interviennent. Sans oublier la dimension européenne, qui est nécessaire au développement d’acteurs de premier plan face aux géants américains ou chinois. De ce point de vue, on ne peut qu’être rassuré par le rachat de « HERE » des constructeurs européens7.

Comment est-ce que les opérateurs se positionnent-ils vis-à-vis de la filière des véhicules autonomes ? Quelles sont leurs attentes ?

Didier Casas : les membres de la FFTelecoms souhaitent soutenir le développement de cette filière, qui constitue une chance historique pour notre industrie automobile et devrait permettre, plus généralement, d’améliorer notre sécurité, notre confort et notre cadre de vie tout en limitant l’impact de nos activités sur l’environnement.

Nous y contribuons d’abord en déployant très loin sur le territoire des réseaux capables d’absorber un trafic data en forte croissance. En ce sens, nous construisons le substrat de l’écosystème à venir du véhicule connecté puisque, d’ici quelques années, une voiture devrait utiliser beaucoup plus de données qu’un client « normal »8.

Il est trop tôt pour évoquer des projets concrets, car les technologies (5G et V2x) ne sont pas stabilisées. Mais on peut déjà dire que l’engagement des opérateurs tiendra à leur capacité à valoriser leurs investissements dans les réseaux pour, justement, absorber cette croissance des usages… On a parfois tendance à l’oublier, mais la connectivité ne peut être gratuite !

Dans ce cadre, et en dehors des discussions que nos membres auront avec les autres acteurs de l’écosystème (constructeurs, gestionnaires d’infrastructures…), nous serons attentifs à la régulation qui devra préserver les intérêts des opérateurs en veillant :

  • à ce que les éventuelles obligations de couverture restent proportionnées à la valeur que les opérateurs pourront tirer de ces nouveaux écosystèmes9 ;
  • à ce qu’ils disposent de blocs de fréquences leur permettant de déployer la 5G dans de bonnes conditions et, surtout, sans interférences ( le précédent fâcheux du GSM-R), ce qui constitue, s’agissant d’applications critiques comme le véhicule autonome, un impératif.

À ce titre (et même si les opérateurs n’ont pas toujours été associés à ces réflexions…) on ne peut que saluer la stratégie nationale, qui insiste, de manière pragmatique, sur la nécessité de normaliser rapidement les technologies de connexion du véhicule (en garantissant a priori une interopérabilité européenne) et de déterminer très précisément les besoins de couverture des voies secondaires.


1. Les nouveaux véhicules sont équipés d’une carte SIM et, dès qu’un accident est détecté, un message est automatiquement émis à destination des services d’urgence (112). Des appels manuels sont également possibles en cas d’immobilisation du véhicule qui, en fonction des besoins, sont routés vers les secours ou des plateformes comme « Mondial Assistance ».

2. Le problème n’est pas propre aux voitures, puisqu’il concerne également le secteur aérien ou ferroviaire. La multiplication des véhicules autonomes, qui seront diffusés à des millions d’exemplaires, pose néanmoins le problème à une autre échelle.

3. Le futur article 19 de la loi de programmation militaire prévoit, en lien avec les opérateurs, de renforcer les compétences de l’ANSSI en matière de prévention des cyber-attaques (détection des attaques par un système de « sondes », amélioration de l’information…).

4. Des tests, actuellement menés au Japon par Nissan, NTT Docomo et Qualcomm, ont montré que la technologie Cellular V2x, permettrait de détecter des obstacles qui ne sont pas encore visibles en raison de la circulation ou de la topographie, par exemple à une intersection sans visibilité, sur une route de montagne ou par mauvais temps (détection dite « Not Line of Sight», NLoS).

5. Orange, partenaire de ce projet depuis 2014, a participé à l’équipement de plusieurs milliers de Km de routes en ITS G5, notamment en Île-de-France (A86), en Bretagne (axe Nantes-Rennes-Saint-Malo) et dans l’est de la France.

6. Spécialisé dans le contrôle technique et la normalisation, l’UTAC-CERAM dispose de deux centres en Île-de-France, à Mortefontaine et Linas-Montlhéry, qui accueillera la structure d’essai des véhicules autonomes.

7. Ex-filiale de Nokia, « HERE » développe des logiciels de cartographie et de planification d’itinéraires. En 2015, l’entreprise a été rachetée, pour près de 3 milliards d’euros, par un consortium regroupant 3 constructeurs allemands : Daimler, Audi et BMW.

8. On estime que, dans les années à venir, un véhicule connecté devrait consommer (hors loisirs numériques) 30 à 40 Go de données par mois tant pour télécharger des informations (la carte HD d’une ville pèse déjà plusieurs Go, et beaucoup plus en 3D) que pour en émettre vers son environnement (régime moteur, données techniques…). Par comparaison, nos clients utilisent, en moyenne, 5 à 6 Go de data par mois.

9. Une des annexes de la stratégie nationale estime nécessaire de viser « la connexion performante et totale des infrastructures routières ». Le texte lui-même est plus modéré puisqu’il évoque simplement la réalisation d’une enquête visant à « évaluer la pertinence socio-économique de la couverture des différentes sections-types du réseau routier ». Par ailleurs, la stratégie nationale est neutre au regard des technologies.

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